“Can I have your autograph?" He said to the fat blonde actress "You know, I know everything you've done" » chante Doug Yule sur « New Age » du Velvet Underground. L’amour et la violence envers une actrice qui a franchi des décennies, star considérée comme fanée, faded.
C’est ce que raconte le nouvel album des Limiñanas, qui place à nouveau les stars dites déchues sous le feu des projecteurs. Aux femmes oubliées qui, des années 50 à aujourd’hui, ont disparu des écrans comme par un cruel enchantement, condamnées par le temps qui passe. Cinéphiles voraces, conscients que le sordide se révèle lorsqu’on gratte sous le glamour hollywoodien, Lionel et Marie Limiñana ont voulu leur rendre ici hommage.
Sans être militant, doté d’une narration hybride, entre (mauvais) rêves éveillés et tendres métaphores, Faded s’envisage telle une foisonnante bande son d’un récit peu rapporté, bénéficiant de nombreux intervenants : Bobby Gillespie de Primal Scream, Bertrand Belin, Rover, Anna Jean de Juniore, Penny, Jon Spencer... Chacun va fournir sa propre vision du scénario de Faded, et c’est ainsi que le disque devient « un patchwork à l’italienne », dixit les Limiñanas, où les plumes d’artistes appréciés par Lionel et Marie sont invitées à s’exprimer pleinement. De quoi signer une œuvre écho (et antagoniste) au fameux Mignonne allons voir si la rose où Ronsard écrivait, conscient de l’âgisme bien avant l’heure : « Cueillez, cueillez vostre jeunesse / Comme à ceste fleur la vieillesse / Fera ternir vostre beauté. »
En résulte un double album ouvrant d’abord largement la porte à une pop garage multi-référentielle, traversée de moult émotions avant de laisser plus d’espace encore à la contemplation et au psychédélique. Sans pour autant se priver de riffs vénéneux. Ici, on est bien chez les Limiñanas. Toujours à la batterie, aux percussions et à la voix, notamment dans une reprise savoureuse du « Louie Louie » de Richard Berry : Marie Limiñana. Aux guitares baignées de fuzz, à la basse, aux claviers : Lionel Limiñana. On ne change pas une équipe qui gagne, ou plutôt qui réussit, les disques et les projets hétéroclites passant, à innover ses propos tout en restant viscéralement fidèle à elle-même. Dans leur studio de Cabestany, Marie et Lionel se sont d’ailleurs entourés de l’immuable complice Pascal Comelade et de David Menke, également en charge du mix.
Ces dernières saisons, le calendrier des Limiñanas ne leur a guère laissé le temps de respirer, entre l'enchaînement de trois B.O. (Heureux Gagnants, Les règles de l’art, Tigres et hyènes) et la réalisation de l’album Pick-up de Brigitte Fontaine. L’inspiration ne vient cependant jamais à manquer. Parce que le couple se nourrit sans cesse du son qu’il a toujours écouté (du rock garage avant toute chose) comme par une imagerie touffue : les films italiens sixties, des OVNIS horrifiques tels Poltergeist, des séries sous tension dramatique façon Monsters. Etc.
Dès l’instrumental thème d’ouverture, « Spirale », on plonge dans une galaxie garage-punk à la fois abrupte et onirique, avant que les tempos ne s’accélèrent sous la houlette de Bobby Gillespie sur « Prisoner of Beauty » et que Bertrand Belin ne scande l’hymne existentiel « J’adore le monde », « à côté de la plaque, juste à côté, pas en dessous, pas n’importe où ». Si « Shout » rappelle à bon escient l’essence rock de Rover, « Faded » met en relief la voix de la charismatique Penny. « L’anti héroïne » Catherine est quant à elle imaginée et incarnée par Anna Jean. Après l’intermède « The Dancer », place aux réinventions des poèmes de Bernard Heidsieck (« Tu viens Marie ? » et « Autour de chez moi ») et à deux morceaux hautement électrisants confectionnés avec Jon Spencer, manitou du Jon Spencer Blues Explosion : « Space Baby » et « Degenerate Star ».
Enfin, résonne une sublime version du « There but for Fortune » de Phil Ochs, immortalisé en France par la regrettée Françoise Hardy, « Où va la chance ». « Je vois des blessures / Jamais guéries / Je vois le vagabond qui dort sous la pluie / Et quelquefois, je pense / Quand je m'endors dans les bras/ Où va la chance/ À toi, à moi ? » : la chance de Marie et Lionel Limiñana, elle, se niche dans les battements de leurs cœurs comme dans les vibrations des guitares, affirmant que l’outrage des années n’est qu’un leurre. Et que tout art est éternel, quels qu’en soient ses stigmates.