Ghostwoman
Il n’y a aucune raison pour que le quatrième album de GHOSTWOMAN existe. Welcome to the Civilized World naît dans un monde brisé ; un héritage corrompu – Evan Uschenko et Ille van Dessel ne se font aucune illusion quant à sa futilité – et pourtant, cette chose est bien vivante. C’est une réaction allergique à l’époque dans laquelle nous vivons : une boursouflure qui hurle d’être grattée, la purge d’un mal moderne qu’ils ne pouvaient plus digérer. Au-delà de toute rationalité, ce disque vient d’un élan viscéral, d’un manque total d’alternative. L’enfer s’est peut-être fendu de part en part – mais GHOSTWOMAN ne s’éclipsera pas sans bruit.
GHOSTWOMAN lui-même n’existe que parce qu’Uschenko et van Dessel ont été « assez idiots pour s’y consacrer ». Imaginé par Uschenko après avoir fait ses armes comme multi-instrumentiste en tournée, le projet a vu le jour dans une ferme abandonnée à Diamond City, en Alberta. Là, pendant deux mois, il réalisera l’album éponyme autoproduit, sorti en indépendant, enregistré et transféré directement sur des cassettes fabriquées sur mesure. La musique a toujours été farouchement inhospitalière, méritée seulement par ceux assez curieux pour la chercher.
Élargi grâce à des amis de la scène d’Edmonton, Uschenko emmène le projet de l’autre côté de l’Atlantique, où il rencontrera la batteuse Ille van Dessel. Séduit par son talent et par l’excitation pure avec laquelle elle abordait la création – exempte d’ego comme de cynisme – les deux deviennent inséparables. Une nouvelle vie commence.
Et puis ils ne furent plus que deux. GHOSTWOMAN devient un face-à-face entre la rouille tranchante des guitares d’Uschenko et les frappes caustiques de van Dessel, les menant ensemble vers un oubli commun. Welcome to the Civilized World se veut la distillation pure de cette vision partagée. Du premier brouillon à sa forme finale, seules les mains de GHOSTWOMAN ont touché ce disque.
Le sens de l’album est inséparable de son absence de sens. Comme le dit Uschenko : « L’album est inspiré par l’absurdité du comportement humain et le cirque qu’est la vie : parfois, on a l’impression d’être dans une pièce sans plancher – c’est de là que viennent beaucoup de ces morceaux. » Après avoir perdu des amis par suicide l’année passée, la suspension d’incrédulité nécessaire pour traverser le quotidien s’est dissipée. S’il y a une signification à Welcome to the Civilized World, c’est simplement celle de continuer : il n’y a pas d’autre choix.
Musicalement, GHOSTWOMAN est une bête plus affûtée que jamais : envoûtements hypnotiques de psych-grunge, Americana en décomposition, et instrumentaux à couteaux tirés. Uschenko, qui signe les voix, insiste : elles n’ont pas d’importance. Une bonne partie des paroles est absurde, non pas écrite mais plutôt esquissée de façon abstraite pour épouser la forme de la musique – mais même dans cette grammaire onirique, la force et l’émotion restent intactes.
Le processus du groupe est intuitif, jamais prémédité ; les sons naissent en réaction les uns aux autres. « 5 Gold Pieces », avec ses guitares crasseuses et ses vocaux enragés comme des fils électriques, a été enregistrée comme test après l’achat d’un magnétophone à bande. Souvent, le premier jet est le bon, et ce test est ce que vous entendez aujourd’hui. Tout ce qu’ils ont utilisé pour enregistrer n’existe plus. « On achète du vieux matos ou des instruments pleins de vie et d’âme jusqu’à ce qu’on en ait tiré tout ce qu’on peut, puis on les revend pour acheter autre chose », explique van Dessel.
Fidèle aux origines du groupe, Welcome to the Civilized World raconte l’histoire du Canada et de la Belgique sur deux ans. Le magnétophone semblait capter des nuances différentes selon l’endroit où ils enregistraient : que ce soit chez un ami proche d’Uschenko, entourés de petits conforts familiers, y compris du chien qu’il aime [Levon – nommé d’après le grand Levon Helm], et dont une piste de l’album porte le nom. Ou dans un chalet des Ardennes belges, au cœur d’un hiver interminable, enfouis sous la neige ; à une heure de marche de toute trace de civilisation.
« Alive », le single principal du disque, a été écrit lors d’une journée particulièrement parfaite dans la campagne belge. À l’origine, le morceau s’appelait « Pondi » – du nom d’un hérisson découvert au bord de l’étang du jardin, qu’ils ont pris comme un bon présage. Son écriture fut sans effort, instinctive ; encore une « vérif’ de ligne devenue chanson complète ». Pour van Dessel, « Alive » ressemble à une photographie – un instant capturé, éphémère, qui n’existera plus jamais. Et c’est bien là, au fond, un disque de GHOSTWOMAN.
Welcome to the Civilized World ne cherche pas à faire de la musique pour un public, ni pour l’industrie musicale, ni pour un objectif quelconque, sinon le pur frisson de la création. Rien n’a d’importance, nous sommes tous condamnés, le soleil engloutira la Terre et nos efforts redeviendront poussière de toute façon. Le groupe continuera à jouer pendant que le navire coule.
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