Zombie Zombie
Si il fallait créer des subdivisions dans nos playlists, il y aurait une sous-catégorie « joue-moi ce vieux truc ». Les morceaux de confort, qui ne tentent pas de réinventer la roue, mais tournent sur les platines sans qu’on ait besoin de les pousser. Funk Kraut, second LP de Zombie Zombie chez Born Bad (à paraître le 07 mars 2025), est de cette trempe. Le trio signe un classique homogène, bel exemple du style qu’ils incarnent depuis une petite dizaine d’albums : une musique instrumentale jouée live, artisanalement, avec des synthés et des percussions. Le disque démarre avec « No cruise control », grosse berline qui bouffe du temps sans effort, à 120 BPM sur l’Autobahn. Ce track illustre bien le projet annoncé : ça kraute comme on aime, et pour ce qui est du funk, on est pas chez Bootsy Collins, mais y'a comme une odeur. Les patterns de synthé structurent l’espace pour que ça avance droit et fluide. La suspension est de qualité, c’est le combo Cosmic Neman / Dr Schönberg qui s’en charge. Ils se permettent un détour par Darmstadt pour prendre en stop des saillies de musique concrète : petits gazouillis d’oiseaux mécaniques, et par-ci par-là, un cluster atonal au piano, ristretto dodéca bienvenu pour réveiller l’auditeur.
Plaisir d’offrir : les nerds apprécieront la liste du matos détaillée dans les liner notes, et constateront qu’il faut pas moins d’une vingtaine de synthés pour produire ce son. Enregistré dans les Landes par Laurent Deboisgisson dans le studio du chanteur de Cheveu, c'est un disque fait rapidement, lisible et ouvert, qui s’éloigne de leur précédent album-concept. On appréciera la finesse du mix de Krikor Kouchian : la batterie a été resamplée avec une certaine retenue, et le mariage du kick de LinnDrum au kit acoustique allège l’ensemble. Ca marque une évolution notable dans le son du groupe, et ajoute une dynamique bienvenue. La pochette, dessinée par Dddixie, annonce la couleur avec son sticker « Motorik Vibes & Stereo Grooves ». Motorik, absolument, ça déroule au kilomètre; et pour ce qui est de groover en stéréo, l’image sonore est large comme les canyons de Mars.
Etienne Jaumet avance prudemment d’album en album : une note à la fois. Mais avec « Densité », on vient de franchir un cap polyphonique : y’a carrément des accords. De longs pads suspendus, percés par les claps. On approche le point Godwin de la musique, le public pourrait se mettre à taper dans les mains en rythme. Le groupe montre qu’il maitrise aussi des formats plus courts et plus pop. On retrouve la même ambiance dans « Jungle the Jungle », saudade tonique paradoxale, mineure et entrainante à la fois, dont le break à lui seul mérite d’être étiré en longueur à la main, avis aux DJ.
Quelques petits riffs de cuivres également dans « Hélix », qui prend son envol sur un synthé façon guimbarde du futur, et se promène d’une enceinte à l’autre pour annoncer le fracas de batterie syncopée qui déboule. Zombie Zombie est prêt pour composer du générique de série TV de niche : on aimerait être l’enfant qui sèchera le judo pour mater le héros qui redresse les torts une fois par semaine sur ce son.
« Aurillac Accident », mention honorable au concours régional de titres, n’est pas un hommage à la délinquance routière des néoruraux, mais documente un soundcheck auvergnat hasardeux, qui une fois passé par la case studio, est devenu une ballade mélancolique. Elle se dissout sauce dub, encore un coup de Krikor.
En concert, les batteurs se font face de part et d’autre de la scène, et c’est toujours un kif qualité rif oriental de les voir produire l’entrelacs très fin qui fait le son de la formation. Chacun s'active entre batterie, percussions et petits synthés west coast. Cet aspect du travail du groupe s’entend particulièrement dans
« Snare Attack » ou « Double Z », avec son jogging sur les charleys, et ces petit motifs de toy piano flippants. Le cardio monte haut dans « Dodorian » morceau parfait pour faire du vélo d’appartement sous amphètes, avec son énorme riff au filtre mobile, ses arpèges quasi disco, et ses éclaircies de cuivres synthétiques. « Magnavox Odyssey », truffade de synthés nostalgique mais sautillante, clôt avec majesté cet album qui reprend là où il l’avait laissé le chemin du groupe : fini les chants en latin, retour aux sources, allez, joue-moi ce vieux truc.
Photos : Pauline Gouablin