The Black Angels
La meilleure musique est capable de refléter une vue panoramique du monde qui nous entoure, elle distille l’universel en quelque chose de beaucoup plus personnel. Depuis leur formation en 2004, The Black Angels sont devenus les porte-drapeaux d’un rock psychédélique capable de cet exercice de style, et c’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles leur nouvel album, Wilderness of Mirrors, (la Jungle des Miroirs) porte si bien son nom.
« Un point central de cet album est la démence que l’on observe au niveau mondial. Qu’est ce qui est vrai ? Qu’est ce qui ne l’est pas ? » dit le chanteur/bassiste Alex Maas. Le guitariste Christian Bland ajoute : « Nous faisons en sorte que notre musique soit ouverte à l’interprétation, mais les sujets abordés sont toujours des thèmes universels ; des problèmes auxquels l’humanité a dû faire face depuis la nuit des temps. Ils sont présents à toutes les époques de l’histoire ».
En effet, durant les cinq ans qui ont suivi la sortie de Death Song, l’album précédent du groupe, et les plus de deux ans passés sur Wilderness of Mirrors, les pandémies, les tourmentes politiques et la dévastation constante de notre environnement ont donné suffisamment de matière à l’approche sonore caractéristique de The Black Angels. Si les membres du groupe redoutaient l’approche de l’année électorale, ils se sont rendus compte que la réalité était pire que ce qu’ils pouvaient imaginer.
Ils se sont donc livrés à une introspection, en se concentrant aussi bien sur leur développement créatif et musical que sur leurs propres luttes dans ce chaos externe. Wilderness of Mirrors est d’autant plus important pour eux car le groupe a enregistré l’intégralité de l’album dans les confins amicaux d’Austin, leur ville natale, pour la première fois en plus de dix ans et ils ont confié la co-production à Brett Orrison, leur fidèle ingénieur du son en façade.
« C’était vraiment une super expérience, parce que Brett nous comprend bien sur le plan musical. On a grandi ensemble », dit Maas. « On a travaillé sur cet album pendant plus d’un an dans le studio à Austin. Je ne peux pas m’imaginer une autre situation dans laquelle on aurait pu travailler comme ça, de 9h à 17h » ajoute Bland, « enregistrer à Austin nous a permis d’être plus créatifs et ça nous a évité de stresser car on n’avait pas besoin de se presser. On a utilisé notre temps judicieusement. »
On retrouve ce modus operandi méthodique dans Wilderness of Mirrors, qui affine habilement les attaques rock psyché de The Black Angels ainsi qu’une multitude de sonorités et de textures intrigantes. ‘History of the Future’ et l’intro ‘Without a Trace’ sont des classiques de guitares fuzz qui font en même temps dresser l’oreille et donnent matière à réfléchir (« Est-il encore possible d’être invincible quand tout le monde peut être sacrifié ? » se demande Maas à voix haute dans cette chanson), tandis qu’une ligne de basse rapide et percutante et une allusion à un dirigeant mondial qui se cache dans son bunker propulse ‘Empires Falling’ vers un jugement sinistre : « Chaque fois que tu te réveilles, je veux en finir avec toi ».
« J’ai démarré avec un riff qui était plutôt lent et mid-tempo », dit Bland. « Quand je l’ai fait écouter au groupe, [la batteuse] Stephanie [Bailey] a commencé à jouer un beat plus rapide, [le guitariste] Jake [Garcia] a ajouté cette ligne de guitare changeante et super cool, et [le multi-instrumentiste] Ramiro [Verdooren] y a ajouté une ligne de basse entraînante, et tout à coup, le morceau a pris cette essence rock’n’roll. C’est l’avantage d’être entouré de gens comme ça. Tout le monde fait preuve de créativité et une chanson peut se transformer en quelque chose que vous n’aviez jamais imaginé auparavant. »
Dans les autres morceaux, The Black Angels se délectent dans de nouvelles expériences comme dans ‘100 Flowers of Paracusia’, un arrangement mélancolique sur des guitares acoustiques et ‘Here and Now’, deux chansons clés de la deuxième partie de l’album. « On n’aurait jamais enregistré ce genre de chansons sur nos albums par le passé, tout simplement parce qu’on n’était pas dans ce monde » dit Maas. « Je suis content qu’on ait repoussé nos limites ». Il y a aussi ‘Firefly’, un hommage à la pop française des années 60, avec les intonations sensuelles de LouLou Ghelichkhani de Thievery Corporation. « On demande rarement à des gens de venir chanter, mais j’ai pensé que ça serait sympa si quelqu’un chantait en français sur ce morceau, avec un échange joueur » dit Maas en parlant de ‘Firefly’. « L’harmonie est plus complète comme ça ».
Mellotron, cordes et autres claviers sont plus utilisés dans Wilderness of Mirrors que sur les albums précédents, et l’album bénéficie également des contributions polyvalentes de Ramiro Verdooren, nouveau membre du groupe, multi-instrumentiste, qui jouait auparavant pour Rotten Mangos, un autre groupe basé à Austin. « Le fait d’avoir l’avis d’un jeune qui est aussi un putain de musicien, ça offre vraiment quelque chose de nouveau », dit Mass avec enthousiasme. Selon lui, Verdooren ramenait souvent chez lui des chansons sur lesquelles ils travaillaient et le soir, il expérimentait avec des magnétos à bande et d’autres accessoires. Bland ajoute : « Si vous pensez à quelque chose que vous voulez ajouter, Jake ou Ramiro peuvent le faire immédiatement sur n’importe quel instrument. »
Un autre nouvel arrivant sur cet album est John Agnello, l’ingénieur de longue date de Dinosaur Jr, qui a bien voulu mixer Wilderness of Mirrors quand The Black Angels avaient besoin d’une nouvelle paire d’oreilles. « Quand vous produisez vous-même votre album et que vous devez vous occuper de tous les moindres détails, vous n’arrivez plus à être objectif » dit Maas. Bland ajoute : « Le regard extérieur de John est ce qui fait briller l’album. Il a ajouté une autre dimension au projet ».
Mais malgré toutes ces expérimentations, The Black Angels restent fidèles à leurs ancêtres psych-rock comme Syd Barrett, Roky Erickson, Arthur Lee et les membres de The Velvet Underground, dont les noms sont tous mentionnés sur ‘The River’. L’héritage de ces artistes est également au cœur du Levitation Festival, un festival de longue date dont ils sont les pionniers et qui leur est cher, le véritable point de départ pour le passé, le présent et le futur du genre. Bland dit : « J’ai toujours voulu me poser et canaliser ces esprits. C’est un peu mystérieux et sinistre, presque comme la réincarnation. La rivière du savoir ne cesse de couler. »
« La chanson de The Velvet Underground ‘I’ll be Your Mirror’, c’est de ça dont traite tous les albums de Black Angels » continue-t-il. « On ne peut pas résoudre nos problèmes sauf si on les met en avant et qu’on y réfléchit. Si on arrive tous à y réfléchir, peut-être qu’on peut encore se sauver nous-même ».