Savanah
Imaginez-vous : des couleurs pastels, parfois sépias. Des robes à fleurs, de longs cheveux. Des visages espiègles, mélancoliques. Vous pensez peut-être à l’univers du film Virgin Suicide, à la musique de Lana Del Rey. À ce nouvel EP de Savanah, ajoutez le rêve. Un imaginaire que cette adolescente de Romans-sur-Isère, fan de David Lynch et son film Mulholland Drive, du compositeur Angelo Badalamenti et ses musiques hypnotiques comme feutrées, a façonné pour s’extirper d’une réalité un peu trop ennuyeuse (“Je me fais souvent trop de cinéma / c’est dans les films que je me sens mieux je crois”)
Après Céleste, Savanah revient avec Désillusions, des chansons atmosphériques qui caressent l’âme. Un disque d’une beauté troublante, écrit dans son studio du Vercors, en production à Paris avec son acolyte Renaud, plus connu sous le nom de H-Burns. À ses côtés, l’arrangeur Benjamin Lanz (Sufjan Stevens, The National, Taylor Swift), venu ajouter à ces nouvelles chansons de Savanah du modulaire, une “dream touch” douce et brumeuse qui enveloppe comme une étreinte. Ce nouvel EP de Savanah, oui, est comme un tableau d’Edward Hopper, un livre de Paul Verlaine, une musique inspirée de celle de Cigarettes After Sex avec l’onirisme étrange de David Lynch. Plus affirmé que le premier mais toujours aussi élégant.
En l’espace d’un an, on a pu la croiser aux iNOUïS du Printemps de Bourges, à l’Hyper Weekend Festival, au MaMA, au FNAC Live et aux côtés d’artistes tels que Air, Herman Dune, Solann, Marie Flore ou encore Victor Solf. Le signe que Savanah continue de s’imposer comme l’une des artistes de chansons pop les plus délicates et solaires. Désillusions protège et embrasse, comme un “intérieur/jour” qui embellit aussi les nuits.
Symptômes d’une génération tiraillée
“Je ne rêve plus”, ne cesse de répéter Savanah au commencement de ce nouvel EP avec la voix de Camille Lucas (ex-membre du duo Ottis Cœur). Sensuelle, fiévreuse, cette balade s’inspire d’une rencontre fortuite pendant la nuit, d’une obsession nocturne rêvée ou fantasmée. Comme si chaque musique était reliée à une image, Désillusions s’écoute comme un film poétique aux paroles écrites comme des répliques. De véritables pensées à imager, également symptômes d’une génération tiraillée : celle qui a grandi dans les années 90 avec pour seuls échappatoires au départ les livres et les films. Là où le spleen prenait encore le temps perdu sur Internet aujourd’hui. Une génération parfois figée, qui regarde sa maison d’enfance avec nostalgie alors que rien n’a bougé, ce que Savanah nous chante dans Intérieur Jour. Celle qui veut parfois disparaître pour être quelqu’un d’autre comme dans un Aéroport - “te souviens-tu d’où l’on vient / vers quelle ville on s’évapore”, se demande-t-elle. Une génération qui s’accroche à ses guides, ces personnes qui aiment encore “sans aucun effort” malgré les Doutes - chanson dans laquelle Savanah traverse des endroits flous, que seule la lune éclaire. Cette lune qui envahit chaque nuit la ferveur de New York, là où Savanah a voyagé sur les traces des chanteurs folks des années 60 comme Bob Dylan, qu’elle se réapproprie dans Ce n’était pas moi. Un disque qui se termine par une nappe instrumentale habillée seulement de la voix de Marylin Monroe qui se demande : “est-ce que je suis vraiment heureuse dans la vie ?”. Une réponse que Savanah trouvera peut-être dans son premier album. En attendant, Désillusions est la bande-son rêvée des âmes songeuses à la recherche d’un réconfort et d’un câlin qui cajole.