Psychonaut
La formation traditionnelle en trio du collectif belge de post-metal psychédélique Psychonaut a longtemps dissimulé la maîtrise compositionnelle, la profondeur narrative captivante et la puissance scénique écrasante d’un groupe désormais à l’avant-garde de la musique heavy contemporaine et novatrice.
Ayant provoqué une onde de choc dans les scènes post-metal et prog avec leur premier album Unfold The God Man, sorti chez Pelagic Records en 2020 et repressé à trois reprises, puis enchaîné avec les complexités métaphysiques et transformatrices de Violate Consensus Reality en 2022, Psychonaut s’est produit dans de prestigieux festivals belges en plein air tels qu’Alcatraz, Rock Herk et Boomtown Festival, ainsi que dans des événements plus spécialisés comme Soulcrusher, Roadburn Redux et A Colossal Weekend, partageant la scène à travers l’Europe avec des groupes tels qu’Amenra, Brutus et leurs camarades de label chez Pelagic, The Ocean et PG.Lost.
La graine de World Maker a commencé à germer alors que la campagne pour Violate Consensus Reality touchait à sa fin, avec l’annonce que le guitariste et chanteur Stefan De Graef allait devenir père. Ce basculement dans sa vie l’a amené, comme beaucoup de futurs parents, à réévaluer ce qui comptait vraiment. Ainsi, la musique qu’il a commencé à composer s’est libérée des fondations philosophiques et spirituelles précédentes du groupe, prenant plutôt la forme de leçons de vie destinées à son fils à naître — un legs d’amour au cas où quelque chose lui arriverait.
Cette euphorie pleine d’espoir rayonne tout au long de World Maker comme une chaleur inhabituellement optimiste ; du son réverbérant de l’orgue Rhodes sur le morceau-titre d’ouverture et du solo de guitare sinueux inspiré du free-jazz qui introduit Everything Else is Just The Weather jusqu’aux éléments de musique du monde, d’électronica et à la voix venue d’ailleurs de la multi-instrumentiste néerlandaise et vieille amie Anthe Huybrechts (Anthe/Helion Creek), particulièrement mise en avant sur des titres comme Origins, qui intègre également le tabla — une paire de tambours indiens — en guise de battement moteur.
Si les riffs monumentaux, les polyrythmies implacables et la rage vocale gutturale de Psychonaut sont plus éclatants que jamais, World Maker déploie un spectre dynamique plus large qui voit le groupe explorer fièrement ses extrêmes les plus délicats et intimes autant que ses moments les plus agressifs et abrasifs. Peu après la naissance du fils de De Graef, la nouvelle dévastatrice est tombée : le père de ce dernier, tout comme celui du bassiste et chanteur Thomas Michiels, étaient atteints de cancers avancés. Vivant au jour le jour, déchirés entre la joie et le chagrin, le groupe a choisi d’abandonner la portée grandiose et la visée cosmique de Violate Consensus Reality pour se recentrer sur le présent.
Le premier single, Endless Currents, première véritable piste de l’album, explose dans un déluge de tapping de guitare staccato avant de s’adoucir pour laisser résonner des paroles puissantes et épurées, comme un appel à suivre le courant et à embrasser la joie. Les derniers mots du morceau — “Lead the way. / Soar. / Everlong.” — résonnent à la fois comme une salutation et un adieu, tandis que le trio érige sa puissance post-metal jusqu’à un point de rupture tonitruant. De même, le morceau vibrant et entraînant Stargazer — nommé ainsi parce que le fils de De Graef est né en “position stargazer” — associe des motifs de guitare délicats et un optimisme teinté de folk à d’immenses breakdowns tentaculaires, dans certaines des expérimentations les plus audacieuses du groupe à ce jour, posant des questions aussi difficiles qu’essentielles sur ce qui vient ensuite.
C’est toutefois And You Came With Searing Light qui incarne le plus immédiatement l’ambition réorientée de Psychonaut sur World Maker, là où l’euphorie entre en collision avec une fureur aveuglante. Premier morceau écrit pour l’album, …Searing Light est sans doute le plus complexe et n’aurait pas détonné sur Violate Consensus Reality. Initialement prévu pour ouvrir le disque, le choix de repousser son impact — sans parler de sa gravité compositionnelle et dynamique — témoigne d’un changement fondamental au cœur même du groupe. Les mots “Discover the world with wide eyes”, répétés tout au long du titre, s’adressent autant à ceux qui ont perdu une part de leur monde qu’à ceux qui le découvrent pour la première fois.
Au milieu de ces temps troublés, le groupe a trouvé force et soutien au sein de la communauté post-metal. L’album a été enregistré et produit par le groupe aux côtés de leur collaborateur et ami de longue date Chiaran Verheyden (Hippotraktor), avec l’aide et les conseils de Victor, ingénieur du son live de Psychonaut, qui ne manquera pas de rendre l’album tout aussi impressionnant sur scène. Même la pochette de World Maker est une affaire de famille, conçue par leur ami proche Sam Coussens, membre du groupe belge de cosmic sludge Pothamus.
Face aux sommets étincelants et aux abîmes désolés de la vie, World Maker se montre direct et courageux sans rien sacrifier de la puissance brute, de l’innovation créative ni de la profondeur musicale inimitable de Psychonaut. Là où leurs précédents albums traçaient de vastes parcours introspectifs à travers le temps et l’espace, World Maker frappe par sa clarté sans compromis : un père qui chante à son fils nouveau-né, tandis qu’un fils fait ses adieux à son propre père.