Ménades
Ménades s’élance avec un premier album inflammable aux riffs déjantés. Après déjà deux tournées européennes, et un passage à Rock en Seine, le groupe a fait une tournée aux États-Unis sur la côte Ouest en passant par les festivals Freak Out à Seattle et le Psyche Fest à San Francisco. Ce goût pour la bougeotte et le live se perçoit en filigrane à l’écoute de ce premier opus traversé par une énergie émeutière et ponctué de secousses.
« Angels Drive Fast », premier single de l’album, illustré par un fantastique clip de Lise Lunel, nous entraine dans une course effrénée et brinquebalante à bord d’une bagnole tout droit tirée d’un film de gangsters des années 80. La vieille Merco en bolide improvisé, s’enfonce dans la nuit à toute allure jusqu’à percuter d’étranges spectres, des créatures lumineuses, qui hantent une forêt pourpre. Des guitares électriques lancinantes, de plus en plus frénétiques, et une basse lugubre évoquent la rengaine d’un moteur à explosion. La voix grave et moelleuse, se métamorphose sur les refrains en éclats de hargne, réveillant les anges en elle, et indiquant à travers les bois une errance dissidente. Ces anges informes sont un clin d’oeil aux Ménades, figures mythologiques qui ont inspiré le nom du groupe. Troupe inséparable du cortège de Dionysos, on dit que ces personnages féminins se sont consacrés à des rituels orgiaques et aux transes les plus extatiques jusqu’à dévorer la chair du poète Orphée.
C’est précisément cette fureur qui confine au délire qu’on retrouve dans la musique du groupe post-punk, et qu’ils transforment en véritable déflagration sur scène. Leurs corps et leurs instruments possédés, associés à une euphorie turbulente et railleuse, les rapproche à coup sûr de l’esprit des Viagra Boys, IDLES et Amyl & the Sniffers. Ménades est un groupe qui ressuscite la fièvre rebelle du punk rock des années 90 avec des hybridations de shoegaze, de psyché voire d’éléments funky qui créent des rythmes syncopés, des voix réverbérées, des guitares dissonantes et des lignes de basse bondissantes. Ils sont cinq sales gosses : volontiers accoutrée d’une nuisette ou d’une combinaison en vinyle, Eva Bottega est la chanteuse et parolière. Dauphin Gallo à la guitare rythmique, avec sa grande tignasse blonde et toujours parée de santiags, rivalise d’agitation avec Max Rezai (guitariste soliste), gavroche diabolique, pattes sur les joues et béret de travers. François Couac manie la batterie avec une fougue indéniable et Ambre Tholance, la basse filant sous ses doigts, n’est pas en reste pour se lancer dans la mêlée avec ses complices. Le quintette maléfique a une ambition : défendre un live explosif tout en proposant un son produit.
Si l’aspect bagarreur des titres n’est pas sans faire écho aux troubles et à la détresse de notre époque, Ménades esquive l’étiquette éculée et simpliste de « groupe militant ». À contre-courant des discours engagés moralisateurs, Sur les cendres nous invite à danser sur les ruines du vieux monde et à jouir sans entrave en ces temps apocalyptiques. Dans La Lune et Hammer, l’amplitude vocale de la chanteuse ne l’empêche pas d’avoir une scansion martelée comme autant de coups de poing. Petite pépite cachée dans les replis de l’album, l’étonnante douceur astrale de Reckless confirme le talent de composition du groupe. Avec une mélodie épurée, des choeurs vaporeux, la ballade pousse à la méditation et se teinte de cette mélancolie qui colore les nuits d’été passées à chanter autour d’un feu : « I don’t care what they think of me / Is that supposed to make me feel / like I’m free ? ». Tout au long de l’album, les textes des chansons oscillent entre la tourmente et la vitalité la plus ardente, une incandescence qu’on retrouve également dans la composition fougueuse du pogoteur Good Partner. Quant au titre Une Balle de Plus, il s’inscrit dans l’héritage du mouvement riot grrrl et mettra d’accord tous ceux qui aiment le rock sans virilisme : « Tu siffles et court je n’me retourne pas / J’avance encore les poings serrés / Tu craches des mots tu crois chasser ta proie / J’ai dans les poches des griffes acérées ».
En proposant une musique sous tension constante, Ménades s’annonce comme un groupe qui va prendre de la vitesse sur la scène rock française.