King Hannah
Lors de leur première tournée aux États-Unis, les membres de King Hannah avaient du mal à croire que leur premier album les avait menés là. Hannah Merrick et Craig Whittle, qui forment le duo indie rock venu de Liverpool, se trouvaient au milieu des déserts du sud-ouest du Nouveau-Mexique, parmi d'autres endroits qu'ils n'avaient vu que dans des films et à la télévision. Leur détermination obstinée et leur courage à se diriger avec acharnement vers leur vision soigneusement planifiée, sans aucun doute, les avaient fait atterrir la tête la première dans une scène de Butch Cassidy et le Kid, de La Balade Sauvage ou de l'un des nombreux documentaires criminels qu'ils apprécient lorsqu'ils ne sont pas sur la route. Le fait d'être dans un nouvel endroit leur a offert une nouvelle perspective et leur a ouvert les yeux sur des événements courants qu'ils auraient peut-être ignorés s'ils s'étaient produits à Liverpool. Une grande partie du deuxième album du groupe, Big Swimmer, reflète les histoires de leurs voyages, alors que le duo a partagé la scène avec Kurt Vile, Thurston Moore, et s’est produit dans des festivals à travers l'Europe et l'Amérique du Nord. C'est surtout en Amérique que Merrick et Whittle se sont retrouvés à regarder à travers la fenêtre de leur van de tournée comme une sorte d'écran, permettant à l'inspiration pour leurs récits d'affluer.
"Parce que si vous visitez un pays différent, c'est plus comme si vous étiez témoin de la vie de quelqu'un", commente Merrick à propos des expériences du groupe sur la route aux États-Unis. C'est ainsi qu'un équilibre entre lumière et obscurité s'est instauré, le groupe étant témoin des plaisirs, des horreurs et des banalités du quotidien, le tout avec pour toile de fond la réalisation du rêve de jouer ses chansons dans le monde entier. Cet équilibre est essentiel pour Hannah et Craig, d'autant plus qu'ils abordent chaque album comme un projet à part entière, en écrivant des chansons ensemble à partir de zéro. On peut l'entendre à parts égales sur leur premier EP, Tell Me Your Mind And I'll Tell You Mine, et leur premier album I'm Not Sorry, I Was Just Being Me, qui sortiront respectivement en 2020 et 2021. La chronique Band To Watch de Stereogum dédiée au groupe fait état de cette dichotomie, affirmant que I'm Not Sorry "apporte de la légèreté dans sa noirceur grâce à l'humour de Merrick, qui ajoute des touches drôles à des sujets sombres". La guitare brûlante apporte de la chaleur à la narration enfumée et sinueuse de Merrick.
Par coïncidence, le titre et le début de l'album, "Big Swimmer", a été la dernière chanson écrite avant de passer de la route au studio pour enregistrer l'opus à venir, comme un testament physique de la métaphore ultime de l'album, comme un coup de poing dans les tripes : on n'obtient rien en jetant l'éponge. "Big Swimmer" est l'un des deux titres de l'album où l'on retrouve la voix de la grande dame de l'indie Sharon Van Etten, que le groupe a contacté lorsqu’elle avait posté sur les réseaux à propos de leur premier single "Crème Brûlée". La voix de Van Etten se mêle à celle de Merrick sans effort, comme deux affluents qui se tissent parallèlement l'un à l'autre. Le fait que l’une des héroïnes d’Hannah et de Craig offre son soutien et sa co-signature à la musique de ce groupe émergent a vraiment ému le duo, surtout qu'elle figure sur une chanson qui incarne l'équilibre atteint dans la poursuite de visions créatives.
Désireux de capturer l'énergie des concerts de leurs premières tournées, Merrick et Whittle se sont adressés au producteur et ingénieur Ali Chant (Aldous Harding, PJ Harvey, Perfume Genius). Le studio d'une pièce du producteur, où les amplis de guitare sont empilés jusque dans la salle de bain, était comme une maison. Il était essentiel d'enregistrer les chansons en live et simultanément. Whittle s'attarde sur la diaphonie microphonique, disant que l'objectif était de créer le sentiment que tout le monde jouait dans la même pièce. Dans cet espace, ils ont mélangé la richesse et l’âme des années 70 avec le bruit frémissant des années 90.
Avec Big Swimmer, King Hannah sort de son premier acte avec une nouvelle compréhension de son univers sonore, de ses forces, de sa gratitude et de sa vision de l'avenir de sa musique. Cette compréhension est sans doute à l'origine de la profonde confiance que l'on entend dans les nouvelles chansons du duo - la voix de Merrick qui s'élève, la guitare de Whittle qui s'enflamme - et de cet équilibre trouvé en traversant l’océan Atlantique, ainsi que dans les salles rock se situant sur ses deux rives. L'album laisse les poils se dresser sur votre nuque, entre les images parfois piquantes et souvent réconfortantes de sa narration. Il est très probable qu'en l'écoutant, vous vous surprendrez à rêver d'un lac en été et que vous aurez envie de vous y jeter.