Juniore
Vous l’ignorez peut-être (ou peut-être pas), mais vous avez souvent écouté Juniore. Leurs mélodies ont délicatement tapissé le paysage de cette dernière décennie. Anonymes ? pas tout à fait. En toute discrétion, plutôt - Juniore a traversé les ondes de nos radios, les bandes originales de nos films, de nos séries, nos publicités, les couloirs de nos avions, de nos supermarchés, les playlistes hype de nos amis ringards, et celles stylées des lanceurs de modes qu’on followe, comme la bande son de nos road-trips ou de nos soirées entre copains.
Et puis c’est vrai que Juniore a voyagé pas mal et fait un peu le tour du monde. Juste avant la sortie de leur deuxième album en 2020, Un Deux Trois (Le Phonographe/SONY) et juste avant le début des quelques années surréalistes qui allaient suivre, Juniore était sur la route – en première partie des Dandy Warhols, de Miles Kane, de La Femme, d’Interpol, de Feu ! Chatterton, notamment, ou en tournée dans des petites salles, des grands bars, des festivals, des cabarets, des fêtes sauvages, en Europe, en Angleterre, en Amérique, en Australie. Et cet album, sorti fin Février 2020, amorcera cette drôle de période d’annulations qu’on a collectivement encore un peu l’impression d’avoir rêvé. Mais qu’importe. En 2024, Juniore fête ses dix ans et bientôt la sortie d’un troisième disque.
Un groupe qui a la bougeotte, à la discrétion originale, comme ses membres – Anna Jean écrit, chante et joue les guitares/claviers, Swanny Elzingre est à la batterie et aux chœurs, quant à Samy Osta, inconditionnel du contre-courant, il est un peu partout sur scène et en studio. Une bande d’antisociaux, pourrait-on croire, ou peut-être plutôt de grands timides. De vieux adeptes des beaux dictons qui ont bercé l’insouciante jeunesse sans fulgurance des années 90, pour vivre heureux, vivons cachés. Non, Juniore n’est ni jeune ni star sur Tik Tok, et encore moins bavard sur les réseaux. Mais le groupe fabrique des disques depuis dix ans – inlassablement - des chansons format chansons, dans des albums format albums ou de jolis 45 et 33 tours. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit pas là de nostalgie, mais d’un goût prononcé pour les jolies choses. Celles-là qui peuplaient les décors de la jeunesse d’antan, avec la promesse de ce futur resté figé dans le passé. Un goût pour les voitures aux formes anguleuses, pour les moteurs sonores des cyclos, pour les dames météo, pour les nouvelles neuves imprimées sur papier, pour les actrices de grand cinéma vérité, pour la politesse, la conduite sans ceinture, les clopes sans filtres, les photos sans filtres, les rendez-vous sans téléphones, les rencontres sans applis.
Mais non, Juniore n’est ni nostalgique ni rétro et encore moins passéiste. Et puis c’est pas ça, l’air du temps ? S’inspirer, s’autoriser à mélanger les références. La musique de Juniore brouille les pistes. Imprégnée de La Nouvelle Vague, des Yéyés, de la musique Surf, du Garage, des bandes originales des westerns spaghetti d’Ennio Morricone, de l’élégance frenchie de Michel Legrand autant que de l’extravagance des B-52’s, de l’audace de Brigitte Bardot qui chante Gainsbourg – la production des morceaux de Juniore se veut moderne, bien ancrée dans son époque. Juniore délivre une musique si démodée qu’elle en deviendrait intemporelle. En plongeant dans la médiathèque vertigineuse que la modernité offre, Juniore invite à un mélange gracieux, sans posture, sans déni, de ce que le monde a sûrement de meilleur. Loin de la caricature, une musique à l’instinct.