Howlin’ Jaws
Depuis leurs premiers concerts à Paris il y a une dizaine d’années, les Howlin’ Jaws sont devenus une légende urbaine – et bien au-delà du périph. Sexy comme Elvis en 55, avec les mélodies de la pop 60’s anglaise et l’énergie tranchante du garage-rock américain. La magie est enfin capturée par le trio dans un premier album très attendu, et qui tient toutes ses promesses.
Un premier album, c’est spécial et magique dans la vie d’un groupe. Ça n’arrive qu’une fois.
Du coup, les Howlin’ Jaws ont pris leur temps pour peaufiner le leur. Amis depuis la maternelle et le collège, les trois garçons (Djivan, Lucas, Baptiste) ont officiellement formé le groupe il y a une dizaine d’années. Ils étaient très jeunes, même pas 15 ans, et ressemblaient à trois sosies d’Elvis en 55. Ils prennent le chemin du rock’n’roll (option rockabilly), pavé de concerts, de fête, d’énergie, de passion, de fête, de rencontres, de foi, d’enregistrements, de fête, de réseau d’amis, d’encore plus de concerts et bien sûr de fête. Tout s’enchaîne et se déchaîne à la vitesse d’un solo de Cliff Gallup (le guitariste de Gene Vincent And The Blue Caps).
Dix ans ont passé. Et tous ceux qui – en France, au Japon, en Espagne, en Angleterre – les ont vus sur scène se sont pris une claque, du genre qui réveille et fait du bien, puis ils ont fait la fête et ont demandé : il est où l’album ?
Il arrive maintenant. Un premier album mûr à point, donc. Un premier album, c’est à la fois un bilan et une promesse, et les Howlin’ Jaws en sont là, à l’heure du bilan qui promet. En dix ans, ils ont fait du chemin. Ils ressemblent maintenant à Elvis en 56, mais sont passés musicalement des années 50 aux années 60, sont partis du rockabilly pour aller vers le blues électrique et les mélodies pop. Ils ont développé leur alchimie à base d’amitié et de passion. Depuis Paris, ils ont arpenté à pas de géants la carte aux trésors du rock, Memphis... Chicago... Liverpool… Et atterrissage à Londres pour enregistrer en compagnie de l’illustre Liam Watson, tenancier du studio Toe Rag. Ici fut enregistré il y a vingt ans un totem du rock contemporain, adoré par les Howlin’ Jaws : l’album Elephant des White Stripes. Et avant et après, des dizaines d’albums garantis joués par des vrais musiciens sur des vrais instruments.
La première fois que Liam Watson a vu les Howlin’ Jaws, eux ne l’ont pas forcément vu. C’était en 2018 pendant le premier concert du groupe à Londres, et Liam Watson était dans le public. L’été suivant, juste après un autre concert de chauffe à Londres avec la légende Nick Lowe, les Howlin’ Jaws entrent en studio. Quand ils en sortent, c’est pour manger une arjun salad, jouer à la Scala avec JC McPherson ou faire la fête avec Liam Watson. Ils sont arrivés chez Toe Rag avec des chansons composées et maquettées pour l’enregistrement plutôt que la scène – inclus des chœurs, des claviers et des structures plus avancées que le simple format rockabilly (Djivan lâche sa contrebasse pour une basse électrique, et c’est nouveau pour le groupe). Liam Watson leur montre comment aller au fond de chaque morceau, simplifier, intensifier.
Au final, un album court, sans temps morts. Les Howlin’ Jaws sont repartis à la chasse au trésors, mais la carte est plus grande. Ils sont aujourd’hui en plein dans les 60’s pré-psychédéliques (Beatles, Kinks, Zombies), dont ils n’ont gardé que le meilleur. La pulsation du blues pour les racines, les mélodies et les chœurs qui prennent le soleil, les guitares fuzz pour faire circuler le tout. Avec son riff à la Chuck Berry pris en stop sur la Route 66, Heartbreaker file vers un rendez-vous amoureux. Guitares swampy bluesy en avant, She Lies, Long Gone et Sugar Mummy vont vers le Sud. Dust pose l’ambiance d’un western spaghetto-oriental. Partout, le chant (à une, deux ou trois voix) et les loopings de mélodies évoquent trois garçons dans le vent – chaud, le vent, en tornade. Partout, le groupe avance comme un gang de félins sexy, la rue leur appartient, rien ne peut les arrêter.
Aujourd’hui comme il y a dix ans, la musique des Howlin’ Jaws est un fantasme, un voyage dans l’espace-temps du rock comme un voyage de noces, une déclaration d’amour. Mais c’est tout le contraire d’une visite de musée. Le groupe ne tient pas en place. Ce qui est bien réel et contemporain dans cet album et chez les Howlin’ Jaws, c’est l’organique et le physique, la réaction chimique produite par le contact d’un corps avec un instrument de musique, accompagnée de ses effets secondaires pas du tout indésirables (suées, sensation de fièvre, euphorie, besoin d’hydratation). En attendant de retrouver les Howlin’ Jaws sur scène, on peut écouter l’album : ça va être la fête.