Tout a commencé par un sentiment de soulagement. Juste après minuit au cours d’un réveillon de Nouvel an, Alexandra Savior, qui venait de sortir d’une relation compliquée six mois plus tôt et appréciait son indépendance, s’est assise et s’est mise à écrire la chanson qui allait devenir « Crying All the Time ». Cette ballade mélodique et déchirante, d’après elle, « c’est ce qu’on ressent quand on est dans une relation avec une personne qu’on déçoit », mais c’est aussi un appel sans équivoque, annonçant l’arrivée de son deuxième album, The Archer, le 10 janvier 2020. Entre onirisme et mélancolie, le premier single de The Archer mêle classique et contemporain ; c’est une ode sentimentale à une nouvelle génération. « On y trouve peut-être de la dépression et du chagrin d’amour, confie la jeune femme de 24 ans à propos des thèmes abordés sur les dix morceaux envoûtants que compte l’album. Mais chaque titre reflète un état d’esprit différent. J’ai essayé d’y projeter une certaine force ; j’ai composé cela à un moment où, tout juste adulte, je devais trouver mes marques, mon identité, gagner en confiance, et j’espère vraiment que ce sera palpable. »
En effet, le message est reçu cinq sur cinq. Des morceaux comme « Crying All the Time » et « Saving Grace » occupent une place prépondérante, ambitieuse à l’atmosphère si particulière, pour faire la part belle à la voix céleste et à l’écriture pointue de Savior. « Ce titre est le résultat d’une forme de colère », dévoile-t-elle à propos de « Saving Grace », douloureux second single de l’album. « Je sortais d’une rupture et les gens n’arrêtaient pas de me dire que c’était un mal pour un bien, ce qui ne manquait pas d’ironie de mon point de vue, comme j’étais à l’agonie ». Sur certaines chansons, les émotions de Savior se dévoilent tels des coups de tonnerre et enveloppent absolument tout ce qu’elles trouvent sur leur passage. D’autres titres, comme « Soft Currents », diffusent une ambiance plus calme, plus intime, comme un secret qu’on chuchote pour qu’il ne soit pas entendu.
Et si Savior s’arroge une part de lionne dans ce brillant résultat, que ce soit sur la composition des titres eux-mêmes, sur la création des visuels de la couverture de l’album, et même sur le tournage de ses propres clips, The Archer est une oeuvre réalisée aux côtés de plusieurs collaborateurs indispensables qui lui ont permis de cerner cette vision. C’est la première oeuvre de Savior sur 30th Century Records, label dirigé par son ami et comparse Danger Mouse, pour un album produit par Sam Cohen, plus célèbre pour son travail aux côtés d’artistes tels que Kevin Morby et Benjamin Booker. « C’est un véritable plaisir de travailler avec quelqu’un qui a un tel sens de la mélodie et de ce qu’elle veut artistiquement, assure Cohen. C’est fascinant de plonger dans son monde qui recrée des histoires de cœur des films de série B des années 1960 ; Alexandra avait une vision qui a vraiment trouvé écho en moi ».
Bien sûr, il n’a pas été le premier à apprécier son talent. Cette native de l’Oregon a pour la première fois été repérée par l’industrie en 2012, alors qu’elle venait de publier sur YouTube une reprise de « Big Jet Plane » d’Angus Stone. Cette performance espiègle et obsédante lui a permis de se constituer une légion de fans influents et elle a fini par écrire pour Linda Perry, qui l’a comparée à Fiona Apple et l’a accompagnée vers la sortie de son premier album, Belladonna of Sadness, en 2017, écrit en tandem avec Alex Turner des Arctic Monkeys et produit par James Ford de Simian Mobile Disco. Pitchfork a vanté cet album en déclarant : « Savior a un penchant pour les jeux de mots astucieux et une voix qui peut vous hypnotiser, vous terroriser, voire les deux ». Quant au Guardian, il s’est pâmé face à sa « maîtrise de soi surnaturelle » et sa « voix cristalline, intime ». Pourtant, à propos de The Archer, Savior déclare : « J’avais l’impression qu’il fallait que je pose ma voix et que je réaffirme mon indépendance ». Une simple écoute de ce nouvel album suffit pour conclure que le pari est réussi, c’est le moins qu’on pusse dire. Il ne s’agit pas seulement du fait de poser sa voix, mais de mettre en avant un talent extraordinaire, au sommet de sa puissance. À venir : une tournée avec Mini Mansions aux États-Unis et des morceaux qui feront partie de son prochain opus pour lequel elle a déjà entamé le travail de composition.